Un joli (et studieux) mois de mai

Coincé entre un mois d’élection présidentielle et un mois de scrutin législatif, mais aussi rythmé par le choc des petites balles jaunes de Roland Garros, le mois de mai 2022 proposait à la troisième promo de Social Demain un programme très riche en termes d’analyse des relations sociales, avec même quelques incursions sur des terrains moins “instinctifs” et plus sociétaux.

Sur le plan du dialogue social en entreprise et des mutations contemporaines du monde du travail au sens large, quelques Exercices pratiques de médiation étaient proposés dès le jeudi 5 par l’éditeur et formateur, avocat associé chez RDSA et membre du Conseil de l’Ordre Hirbod DEGHANI AZAR. C’est ensuite le Président de la Fondation Travailler Autrement (et de France Tiers-Lieux) Patrick LEVY-WAITZ qui a pu, le mardi suivant, leur partager ses analyses poussées concernant les Nouvelles formes de travail.

Une semaine plus tard, ce fut au tour du vice-Président “Ressources humaines FranceDan ABERGEL de mettre en parallèle Pratiques du dialogue et influences culturelles, puis, le mardi 24, à celui du Directeur Général de Matrice – Institut d’innovation technologique et sociale -, François-Xavier PETIT, de partager ses réflexions sur les Enjeux et figures du leadership face à la nécessité de transformation. Enfin, cerise sur le gâteau, c’est l’ancien Secrétaire général de Force Ouvrière Jean-Claude MAILLY qui est venu conclure cette série de mardis studieux, en abordant la question de L’investissement social.

Par ailleurs, le jeudi 19 au matin, une Lecture au faubourg était organisée, avec l’Afev, autour du livre Le véganisme, une idéologie du XXIème siècle, paru en mars à L’aube, et en présence de son auteur, Adrien DUBRASQUET.

Il y avait, en somme, de quoi varier les plaisirs ! Et pour le mois de juin, entre les « soirées terrasse », les nouvelles interventions d’acteurs variés et même une rencontre inter-promos à l’Ecole des officiers de la gendarmerie, rien à dire : il y en avait encore pour tous les goûts.

Groupe IGS : « Entendre les jeunes, et leur partager des choses »

Lionel PRUDHOMME

L’école IGS-RH du Groupe IGS, organisme d’enseignement supérieur privé, spécialisé en Ressources humaines, est partenaire du dispositif Social Demain depuis son lancement, fin 2019. Son Directeur, Lionel Prudhomme, répond ici à nos questions.

Pourquoi avoir soutenu, dès le démarrage, le programme Social Demain ?

Partenaire spécifique de Social Demain, dans la mesure où nous sommes l’un des premiers programmes français, de niveau master, en termes de volumes pour les publics jeunes diplômés et expérimentés, nos enseignements visent à faire de nos apprenants des généralistes de la fonction RH, sans “trous dans la raquette” – d’où l’intérêt de prendre nettement en compte le dialogue social, qui constitue l’une des clés de nos formations. Mais les relations sociales, aujourd’hui, ont perdu en fluidité dans de nombreuses entreprises, tandis que la plupart des syndicats peinent à renouveler leurs cadres, militants comme dirigeants. Or, comment espérer bâtir un dialogue social efficient si les jeunes eux-mêmes se détournent des syndicats qui sont censés l’animer ? Le dialogue social doit-il, dès lors, reposer sur d’autres acteurs que les corps intermédiaires aujourd’hui institués ? Ou bien ces acteurs doivent-ils se régénérer ; mais alors, comment ? Il nous a donc paru intéressant de participer à la détection des jeunes de moins de 35 ans qui feront, quelle que sera sa forme, le social de demain, et de mettre le zoom sur ces questions-là.

Qu’apporte le Groupe IGS, et votre école en particulier, au dispositif ?

Le modèle de nos fondateurs repose sur l’idée qu’il est possible d’apprendre un métier par une voie professionnalisante. Nous faisons donc intervenir beaucoup de professionnels de la fonction RH, en poste dans des entreprises ou structures de conseil. Cette proximité avec l’écosystème de l’entreprise nous permet d’apporter un témoignage sur ce que l’on voit de l’évolution de cette fonction RH, des modes nouveaux de dialogue social. D’ailleurs, mon intervention, auprès de la promo de cette année, autour de la question du sens, leur a donné envie d’organiser un deuxième temps d’échanges sur le même thème. Il s’agit en effet, pour nous, à la fois de les entendre et de leur partager un certain nombre de choses que nous constatons ou percevons.

D’après votre expérience, en quoi les promotions successives se distinguent-elles ?

Autour d’un dispositif que je considère comme extrêmement intelligent, riche dans les thèmes traités et varié dans les formes qu’il prend (travaux entre eux, conférences, rencontres in-situ, échanges avec des figures marquantes…), je considère que le processus de sélection tel qu’il existe permet de faire émerger des candidats que l’on n’attendrait pas forcément – ce qui contribue au vif intérêt des échanges, année après année.

Quelle est, selon vous, LA question sociale du moment, et avez-vous le sentiment que les acteurs politiques s’en emparent correctement ?

Considérer qu’elle est mal abordée, depuis la confortable position que nous occupons, en tant qu’observateurs installés sur un strapontin, m’apparaît délicat. Il me semble cependant que, collectivement, on ne se rend pas assez compte à quel point les transitions que l’on va vivre – parmi les plus compliquées, inédites depuis des siècles, et qui en outre se superposent – vont induire une révolution industrielle, aux conséquences massives et particulièrement marquantes. Dans quelques années, nous définirons le temps présent comme une période extrêmement dense et difficile, où l’effet d’entraînement incluant tout le corps social aura été un incontournable de la situation. A savoir, pour prendre le cas d’Airbus que j’ai visité il y a peu, aussi bien les ouvriers que les techniciens, les administratifs que les ingénieurs de très haut niveau, les cadres que les non-cadres… Or il faut parvenir à mettre en mouvement l’ensemble de ces personnes, en comprenant les enjeux auxquels ils sont et seront tous confrontés, de manière aussi durable que profonde. Cette question, d’ordre à la fois social et politique, ne me paraît pas mieux prise en compte, aujourd’hui, par un pays plutôt que par un autre. Pourtant, quand des transitions apparaissent, il faut savoir mettre en mouvement une société pour en faire apparaître une autre ! C’est l’enjeu des quelques mois ou années qui viennent.

Bonheur individuel, angoisses collectives

Pour préparer le troisième atelier de la promo, qui s’est tenu le soir du 18 mai dans les locaux de Human & Work – premier groupe de conseil européen dédié à l’Humain au travail -, les organisateurs ont mené des entretiens individuels avec l’ensemble de ses membres. L’occasion, notamment, d’analyser en quoi ils se sentent mieux ou moins bien lotis que leurs parents…

Comment les jeunes adultes de 2022 envisagent-ils l’avenir ? Estiment-ils, surtout, que le monde qui s’ouvre à eux présente un visage plus accueillant, stimulant, propice en promesses que celui qui ouvrait les bras à leurs parents il y a vingt, trente ou quarante ans… ou au contraire une mine déconfite, un air maussade, des sourcils foncés et des traits creusés par l’ampleur des menaces ? Considèrent-ils, en somme, qu’à l’avenir ils vivront mieux – ou moins bien – que leurs géniteurs ?

Mieux aujourd’hui…

Interrogés sur le sujet, tous les membres de la promo préfèrent d’abord faire le bilan de la situation actuelle, avant de se lancer dans la prospective. Et, à ce titre, il faut le reconnaître : ils se montrent très lucides quant au fait que globalement, il n’y a pas lieu de se plaindre. Si c’est particulièrement le cas pour ceux qui ont conscience d’avoir fait l’expérience d’une ascension sociale grâce à des études supérieures, le sentiment demeure très partagé.

Symboliquement, d’ailleurs, l’une d’entre eux a résumé la situation de manière particulièrement parlante : « Ma mère a passé une partie de son enfance dans le bidonville de Nanterre… là où a été construire l’université dans laquelle j’ai fait mes études. » L’aisance matérielle accrue qui découle de l’obtention de diplômes est particulièrement bien conscientisée par ceux qui sont issus d’un milieu populaire, et plus encore par ceux dont les parents sont d’origine étrangère. Les femmes, aussi, n’ignorent pas à quel point elles disposent d’une liberté de choix bien plus grande que celle qui s’offrait à l’époque à leurs mères.

Mais plus globalement, tous ces jeunes savent apprécier la réalité d’une infinité des possibles, permise à la fois par la libération des mœurs et par les progrès de la technique – qui dans les deux cas permettent une ouverture d’esprit démultipliée. Ainsi, les voies semblent « moins tracées », les individus « moins enfermés dans des cases », moins assujettis à un « modèle familial et culturel imposé »… un peu comme si toute la fin du XXème siècle s’était déroulée sous le joug de l’obscurantisme et de l’immobilisme !

… plus mal demain ?

Pour autant, deux d’entre eux en conviennent : même au sein de cette société apparemment conçue comme très “fermée”, très “contrainte” – alors que nous parlons du monde post-1968 ! -, leurs parents « en ont bien profité », et il semble tout de même que régnait alors « un plus grand optimisme. » C’est d’ailleurs sur ce point, celui qui concerne des aspects post-matérialistes, relevant plus du sentiment de sécurité et d’un ressenti général, que les choses s’assombrissent lorsque l’on observe l’horizon.

Ces jeunes appartiennent, clairement, à ce que les sociologues Monique Dagnaud et Jean-Laurent Cassely ont appelé : « l’alter-élite ». Conscients d’être moins entravés que leurs aînés par les difficultés matérielles, par le contrôle social (ce qui vaut surtout pour les femmes ou les jeunes issus de milieux populaires ou de pays étrangers), par une méconnaissance de pans entiers du réel, ils prêtent plus que jamais le flanc à des angoisses existentielles.

Se considérant en effet comme « une génération qui conscientise plus les choses », ils se sentent plus bombardés que jamais par le nombre comme l’ampleur des terrains de préoccupations. « Moi, résume l’un d’entre eux, je m’inquiète de ce qu’il y a dans mon assiette ; eux s’occupaient du fait d’avoir quelque chose à mettre dans le frigo. Ce sont d’autres questions… J’ai d’autres soucis : le revers de ma qualité de vie, c’est la course permanente, la charge mentale. »

Les menaces sur l’avenir sont plus nombreuses et plus vivaces que jamais, en particulier sur la question écologique – dont on sait comme elle pèse, dans tous les sens du terme, sur cette génération et les suivantes -, ce qui fait reconnaître aussi « qu’on vivra moins bien que nos parents. Cela a commencé à plein d’égards. La crise écologique est là, et dans trente ans, ce sera plus grave. » Ainsi, « il y a un petit hiatus entre ce que je vis individuellement et le monde dans lequel je vis : si on raisonne sur un plan plus collectif, que ce soit sur l’état de la société (…) ou sur l’état de la planète (…), il n’est pas certain que je vive mieux que mes parents à l’avenir. »

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